Les plombiers du net peuvent faire giguer les services et les applications flushés dans leurs tuyaux. Grâce à cette Pratique de gestion du trafic Internet (1) et autres PGTI, les fournisseurs de services Internet (FSI) exercent un contrôle sur le métaphorique flot du réseau. Grâce aux avancées technologiques, les FSI peuvent gérer le trafic en modulant l’accès, ou même en le bloquant, à certaines applications, services ou abonnés.
Au nom de la neutralité du net, certains voudraient les empêcher de détenir ce pouvoir. Même Peter Pan (et ses amis) s’en mêlent. À preuve, ce site où ils appellent à la lutte contre ces gros plombiers de telcos et cablecos.
Cependant, la multiplication sans fin des nouvelles applications Internet rendent de plus en plus difficile la gestion du trafic sans congestion. Par exemple, les programmes de partage de fichiers poste à poste (peer-to-peer) comme BitTorrent consommeraient un maximum de bande passante. Lue dans Le Monde, cette illustration efficace du principe de la neutralité du net:
Comme sur une autoroute, il faut réguler le trafic sur Internet pour empêcher les bouchons, explique Nicolas Curien, de l’Arcep. Mais on ne comprendrait pas qu’une société d’autoroute bloque les voitures bleues ou les voitures d’une certaine marque.
Aux États-Unis le 6 mai dernier, la Federal Communications Commission (la FCC) annonçait avoir trouvé le moyen d’exercer une forme de contrôle sur l’accès à Internet. Son objectif : faire respecter la neutralité du net. Je me suis dit qu’il était temps d’explorer ce sujet comme je me l’étais promis dans mon billet sur la télévision publique. Ça fait maintenant une semaine que je planche…
Je planche parce que je vois un lien entre ce principe et l’avènement de la radiodiffusion de service public, mais je n’ai pas encore trouvé le fil conducteur qui m’y mènerait.
Je ne trouve pas le fil conducteur parce qu’en explorant cette question on peut facilement se perdre dans des méandres de techno-jargon, tant au plan de la technologie de distribution des réseaux que de la règlementation, et surtout, se perdre dans le dédale de toutes les questions liées à la neutralité du net.
Comme l’exprimait Jean-Ludovic Silicani, président de l’Autorité de régulation des communications électroniques (ARCEP) en France, en ouverture d’un colloque sur le sujet le mois dernier:
(…) sous l’apparence d’une question très technique ou, à l’inverse, très théorique, le sujet qui nous rassemble aujourd’hui est un des plus fondamentaux que notre économie et notre société aient à traiter au cours des prochaines années, au niveau de chaque pays comme au plan mondial.
Au Canada, le CRTC a élaboré une politique qui s’appuie sur la transparence plutôt que sur la mise en place de paramètres précis. En gros, il demande aux FSI d’avertir leurs clients selon un certain délai quand ils mettent des PGTI en place et c’est aux clients de porter plainte s’ils jugent ces pratiques discriminatoires. C’est ce que j’appelle l’approche régulologique, une approche qui ne va pas plus loin que ce que les Lois et règlements afférents permettent, et qui s’étouffera d’elle-même sous les piles de documents qu’elle devrait engendrer.
Neutralité : les pour et les contre
Aux États-Unis, dans le camp des POUR, la Open Internet Coalition qui compte Amazon, Facebook, TiVo, Twitter, Google et YouTube parmi ses supporters. Chez Google, l’évangéliste en chef de la neutralité est Vint Cerf, l’un des pères de l’Internet.
Dans le camp des CONTRE, les entreprises de téléphone et de câblodistribution, comme Comcast qui a ralenti l’accès de ses abonnés à BitTorrent. C’est l’intervention de la FCC dans ce dossier qui a déclenché le débat en cours actuellement aux États-Unis. Comcast, c’est le plus important câblodistributeur aux États-Unis (23,5 millions d’abonnés), détenteur de chaînes câblées, de services web qui donnent accès à des émissions de télévision (Comcast Interactive) et en instance d’acquérir NBC Universal (et son catalogue de films) pour 30 milliards de dollars. Il est tentant de déduire que BitTorrent, en plus de gêner le trafic, gênerait certaines stratégies de Comcast sur le net.
Neutralité et convergence
Aujourd’hui la convergence des télécommunications et de la radiodiffusion est considérée comme un fait accompli.
Ce n’est pas moi qui le dit, c’est Konrad von Finckenstein, c.r., Président du Conseil de la radiodiffusion et des télécommunications canadiennes (CRTC), qui le déclarait le 6 mai devant le Comité d’experts sur les télécommunications au Canada.
J’aime particulièrement la description que Monsieur von Finckenstein fait de la convergence:
Les entreprises de distribution de radiodiffusion offrent maintenant des services téléphoniques. Les compagnies de téléphone offrent des services de télévision. Internet offre tout et les appareils mobiles vous le livrent dans la main, où que vous soyez.
Dans ce monde où la convergence est un fait accompli, l’accès à l’information, au divertissement audiovisuel, à l’éducation, aux services de santé même dépendra du contrôle que les organismes régulateurs pourront (ou ne pourront pas) exercer sur le monde numérique. C’est une question extrêmement complexe où il ne faut pas négliger un autre débat en cours chez nous, celui de la propriété étrangère des entreprises de télécommunication, qui, selon qu’elle soit autorisée à devenir suffisamment importante pour exercer une forme de contrôle, aura un impact important sur l’avenir numérique.
Tim Berners-Lee, le principal inventeur du Web, répète souvent qu’il n’a pas eu à demander la permission pour le faire. Selon lui, garantir la neutralité du Net permet de réguler le réseau comme un bien public, une idée qui a présidé au développement des technologies qui composent internet, telles que le Web.
Deux notions qui me préoccupent particulièrement : l’Internet vu comme un bien public, dans une société future très largement structurée autour d’un écosystème numérique.
Elles serviront de base à ma recherche du lien entre service public (comme dans « radiodiffusion publique au service des citoyens ») et le principe de la neutralité.
À suivre.
(1) La gigue est une variation temporelle aléatoire du signal. La gigue provoque une fluctuation dans les moments d’arrivée des paquets, ce qui entraîne une distorsion du signal. La meilleure illustration en est la retransmission saccadée des signaux VoIP voyageant sur une grande distance. (source: Politique réglementaire CRTC 2009-657)