Au Canada, ils sont quatre à pratiquer l’intégration verticale et ils sont les champions mondiaux de cette discipline.
Les parts de marché combinées de Shaw, Rogers, Bell et Quebecor dans la distribution, la programmation, l’accès Internet fixe et les communications mobiles dépassent largement celles des Américains. Dans ce domaine, nos entreprises canadiennes font mordre la poussière aux géants Comcast/NBCU (nouveaux mariés, par ailleurs), DirecTV, Time Warner Cable et Dish Network (entre autres parce que les américaines ne sont pas dans le mobile).
Malgré leur position dominante, les membres de notre Bande des quatre appréhendent l’invasion des Joueurs Étrangers*, dont le chef de file est Netflix, ce service américain qui offre la possibilité de visionner des films et des émissions de télévision via Internet. Ainsi, pour Quebecor l’intégration verticale est la seule solution viable pour contrer l’invasion des Joueurs Étrangers (expression, et majuscules, de Quebecor), ces usurpateurs qui envahissent leur territoire sans avoir à payer de tribut au “contenu canadien”, puisque le CRTC a décidé de ne pas réglementer l’Internet.
Pour initiés seulement?
Voilà quelques-unes des informations qu’on peut glaner en épluchant les 68 mémoires déposés au CRTC en réponse à sa consultation sur le cadre réglementaire relatif à l’intégration verticale, dont l’audience se déroulera le 20 juin prochain. L’intégration verticale, dans ce contexte, c’est « la propriété, par une seule et même entité, d’entreprises de programmation et de distribution, ou encore d’entreprises de programmation et de société de production. » (CRTC 2010-783)
Ces instances réglementaires peuvent sembler totalement rébarbatives aux non-initiés. On y discute dans un jargon technique fait d’acronymes mystérieux (EDR, OTT) et de locutions latines juridiques (in fine, ex parte, prima facie) de questions complexes qui relèvent du droit, de la réglementation, de notions d’économie et de concurrence dans une industrie qui doit se préoccuper de profits, de responsabilité sociale, de souveraineté culturelle et se positionner en avant des innovations technologiques de pointe en cette ère de révolution numérique. Les mémoires déposés, en particulier par les intervenants qui sont directement touchés par les enjeux discutés, offrent des preuves basées sur des analyses approfondies. Quand on décode le langage d’initié, qu’on débroussaille les données, qu’on soupèse les intérêts divergents, on obtient un portrait très intéressant de l’état actuel du paysage audiovisuel canadien et de ses perspectives d’avenir.
Pour une geek des médias comme moi, c’est passionnant!
Cela dit, je peux comprendre que pour certains observateurs, en cette ère numérique où il est si facile de contourner des barrières et des règles de plus en plus obsolètes, cette instance ne représente qu’un ultime réarrangement des chaises longues sur le Titanic …
En attendant l’iceberg
Il est bon de rappeler que les dépenses en activités culturelles des ménages sont de plus en plus accaparées par les paiements pour l’accès aux nouvelles plateformes. Que la majorité des revenus des entreprises intégrées comme Bell Media et Quebecor proviennent de leurs services de télécommunication (ce qui comprend les services Internet et le sans-fil). Que ces revenus ne retournent pas dans la production de contenu comme c’est le cas pour une petite partie des revenus des services de distribution de radiodiffusion. Que le CRTC a prévu de réexaminer sa décision d’exempter de réglementation les entreprises de radiodiffusion par les nouveaux médias en 2014.
Autrement dit : dans un siècle! Dans cette ère nouvelle où, si on n’y prend pas garde, le contenu culturel dit « canadien » trouvera de moins de moins de sources de financement et d’accès (à surveiller : l’accès des télédiffuseurs indépendants – les Québécois en particulier, V, Télé-Québec, TV5, Radio-Canada – aux fonds, aux redevances et à la distribution).
(Mise-à-jour: je sais, ça fait un peu narcissique de se « liker » soi-même – voir plus bas – mais c’est bien involontaire de ma part. J’ai cliqué sur le bouton pour voir ce que ça donnait et je n’ai pas trouvé comment se « déliker ». Facebook et moi… quand j’aurai compris, je sens que le FB aura rejoint MySpace au cimetière des applications.)