La semaine dernière, Pierre Lescure, ancien patron de Canal+, remettait son rapport « Contributions aux politiques culturelles à l’ère numérique » au président de la France (on trouve le rapport ici). Description par Le Monde de l’un des éléments controversés du rapport:
Pour la mission, la contribution des opérateurs de télécommunications au financement de la culture n’est pas contestable dans son principe. Depuis 2008, ils sont assujettis à une taxe (TST-D) lorsqu’ils distribuent des services de télévision, qui alimente le Centre national du cinéma et de l’image animée (CNC) mais ils en ont contesté le principe devant la justice européenne. M. Lescure propose de substituer à la TST-D une taxe assise sur l’ensemble du chiffre d’affaires des opérateurs de télécommunication. Le produit de cette taxe serait affecté à un compte de soutien à la transition numérique des industries culturelles.
L’an dernier j’avais rédigé un billet pour le blogue de Mixmedia Montréal (j’ai déjà parlé de cet événement ici) qui parlait de cette idée de taxer les fournisseurs de services pour financer le contenu. Je trouve qu’il est encore d’actualité.
Je le reproduis ici – en l’éditant un peu. Pour l’article original, on peut aller ici.
Contenu sur le web: faisons payer les FSI
L’argument des créateurs de contenu en faveur de la taxation des fournisseurs d’accès et de services, serait, pour simplifier : nos contenus contribuent à votre richesse, il est normal que vous nous en redistribuiez un peu. Ou, pour en revenir aux sources d’externalité positives, c’est un peu comme si l’abeille réclamait sa part des profits de l’apiculteur, ou si l’arboriculteur, qui a mis sur le chemin des abeilles des arbres qui ont permis d’améliorer la qualité de leur miel, le faisait également.
L’idée de demander une redevance aux FSI pour financer les contenus audiovisuels distribués par internet a été soumise au CRTC en 2009 par des associations de producteurs, d’artisans et de créateurs, dans le cadre d’une consultation sur la radiodiffusion par ce qu’on appelait encore à l’époque les « nouveaux » médias.
Le CRTC avait alors décidé qu’il était prématuré de mettre en place des mécanismes de soutien à la diffusion d’un contenu canadien de radiodiffusion par les nouveaux médias, d’autant plus qu’il n’était pas possible de baliser cette diffusion (c’est-à-dire mesurer – le Conseil s’est rapidement aperçu que vouloir mesurer le contenu canadien sur l’internet revenait à essayer de mesurer les gouttes d’eau en provenance de cours d’eau canadiens dans l’océan…)
Pour que le Conseil puisse avoir juridiction sur les FSI dans le cadre juridique et réglementaire actuel, il aurait fallu que ceux-ci soient reconnus comme des « entreprises de radiodiffusion », qui, en tant que partie intégrante du système de radiodiffusion canadien, sont tenus de contribuer à son développement. Le Conseil a décidé de ne pas décider… et, sans doute pour démontrer les limites de ses pouvoirs et la vétusté de la Loi sur la radiodiffusion (le président de l’époque a milité pour une refonte de celle-ci), a demandé au pouvoir législatif de prendre position. Il a donc renvoyé la question devant la Cour d’appel fédérale : est-ce que les FSI sont des entreprises de radiodiffusion ?
La Cour d’appel a répondu : non. Non, parce que les FSI n’ont pas de contrôle sur le contenu qu’ils transmettent.
Les groupes culturels ont fait appel devant la Cour suprême qui a tranché très rapidement : la Cour d’appel avait raison, « Dans leur rôle de fournisseurs d’« accès à la “radiodiffusion” au moyen d’Internet », les FSI ne sélectionnent ni ne sont à l’origine de la programmation, pas plus qu’ils ne regroupent ou n’offrent de services de programmation. »
(Cela dit, si la réponse avait été affirmative, la question des redevances était loin d’être réglée. Les FSI auraient alors relevé de l’ordonnance d’exemption des nouveaux médias, ordonnance qui les exempte des obligations des autres composantes du système. En outre, reconnaître leur contrôle sur le contenu transmis aurait ouvert la boîte de Pandore de leur responsabilité face à ce contenu.)
On le voit, l’argumentation en faveur de la redevance, basée sur la théorie économique des sources d’externalité positives – on contribue à votre richesse, c’est normal que vous nous en retourniez un peu – se bute, chez nous du moins, à un parcours semé d’embûches législatives et réglementaires.
On vit une période de transition caractérisée par une évidence : au plan législatif et réglementaire on utilise des outils du 20e siècle très peu adaptés à l’environnement culturel, technologique et économique qui se met en place au 21e siècle.
À venir, une synthèse/analyse du rapport Lescure surtout dans la perspective d’aller y chercher les constats qui me semblent pertinents et les bonnes idées qu’on devrait importer.