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Au sujet de la découvrabilité

Afin de regarnir un peu mon blogue, voici le texte d’une conférence que j’ai donnée dans le cadre des Rendez-vous du numérique organisés par le Regroupement des producteurs multimédia (RPM) le 6 décembre dernier:

D’après le texte de présentation de cet atelier sur le site du RPM, je suis une experte de la découvrabilité.

J’ai sans doute mérité ce titre parce que j’ai produit un rapport en deux volets sur la découvrabilité, un rapport qui avait été commandé par le Fonds des médias du Canada en collaboration avec Téléfilm Canada, l’ONF et l’Observateur des technologies médias de Radio-Canada.

La commande était de procéder à un inventaire de toutes les initiatives qui ont une incidence sur la découvrabilité des produits audiovisuels canadiens. L’objectif était d’aider l’industrie à développer une compréhension commune de ce concept en vue du Sommet de la découvrabilité qui a été organisé par le CRTC et l’ONF en mai de cette année.

Je ne sais pas si d’avoir produit ces rapports fait de moi une experte, mais je peux vous dire que j’ai vraiment exploré la question sous toutes ses facettes. Ou presque : la découvrabilité, c’est vraiment quelque chose de multidimensionnel et qui peut se voir de multiples facettes et points de vue.

C’est pour ça que le rapport a été publié en deux volets : le premier recense les différents leviers de la découvrabilité, donc la découvrabilité du point de vue des contenus, et le deuxième l’examine du point de vue des consommateurs.

L’objectif était d’essayer de comprendre comment ils découvrent les contenus dans l’environnement d’aujourd’hui.

Pour ce volet du rapport, on a utilisé des données secondaires et des questions ajoutées par l’Observateur des technologies médias de Radio-Canada à son sondage du printemps.

On voulait savoir comment les consommateurs découvrent et choisissent leurs contenus vidéos.

Vous le savez, nous sommes devenus de grands consommateurs de vidéos en ligne.

Par exemple, le géant de l’informatique en réseau Cisco prévoit qu’en 2021, 82 % du trafic Internet sera attribuable à la consommation de contenu vidéo, comparativement à 73 % en 2016. Cette croissance est due en partie à l’arrivée de nouveaux utilisateurs, mais surtout, elle proviendra de l’augmentation de l’offre et de la demande pour du contenu vidéo de haute qualité.

Comment, en tant que consommateurs de contenus vidéos, réagit-on devant cette surabondance? Quand on pose la question « comment découvrez-vous de nouveaux contenus », la réponse qui revient au premier rang chaque fois c’est :  recommandations par des amis ».

Vu sous cet angle, c’est simple la découvrabilité : ça dépend de nos amis!

Ça me rappelle le critique de télévision du Globe & Mail qui s’était moqué du sommet de la découvrabilité du CRTC en citant d’autres sondages montrant que les gens découvraient le contenu grâce à des recommandations d’amis ou surtout des critiques comme lui.

Mais quels sont les contenus ainsi découverts? Les hits avant tout,  blockbusters hollywoodiens, séries télé américaines, hits musicaux ou jeux vidéo best-sellers, justement parce qu’ils ont derrière eux toute une machine de plus en plus raffinée et complexe pour assurer leur visibilité.

Et c’est là que la découvrabilité entre en jeu. Ça veut dire quoi « Découvrabilité » ?

Quand j’ai commencé mon rapport, j’ai cherché une définition de la découvrabilité et l’Office québécois de la langue française ne fournissait qu’une définition qui parlait d’informatique et d’interface utilisateur.

Récemment, l’OQLF a ajouté une deuxième définition :  Potentiel pour un contenu, un produit ou un service de capter l’attention d’un internaute de manière à lui faire découvrir des contenus autres.  Et une note sur la fiche terminologique :

L’emploi, notamment de métadonnées, d’algorithmes de recherche, de mots-clés, d’index, de catalogues augmente la découvrabilité d’un contenu, d’un produit ou d’un service.

C’est une très bonne définition. Mais ça ne dit pas tout.

La découvrabilité, c’est un phénomène qui précède l’internet. Les contenus ont toujours eu besoin de capter notre attention. Mais quand découvrir une émission de télévision consistait à choisir parmi les quatre offertes à 19h et qu’aucun autre écran que celui de la télévision ne retenait notre attention, on n’écrivait pas de rapports de 40 pages sur le sujet.

Depuis les débuts de la télévision, le modèle d’affaires de cette industrie consiste à vendre du temps d’antenne à des annonceurs, ou, comme l’avait dit de manière plus pragmatique un PDG de chaine privée française il y a une dizaine d’années, « du temps de cerveau disponible ».

Quand il a déclaré ça, Facebook venait tout juste d’être lancé, Netflix n’était encore qu’un service de location de DVD par la poste et YouTube était un projet qui diffuserait sa première vidéo un an plus tard.

Aujourd’hui, la vente de temps-cerveau – d’attention – est devenue une entreprise extrêmement fragmentée et complexe et la découvrabilité est devenue un enjeu majeur, un buzzword qui figure dans pratiquement toutes les conférences sur la « monétisation » des contenus dans l’univers numérique.

Cisco nous dit qu’en 2021, ça prendra 5 millions d’années pour visionner tout le contenu vidéo disponible.

Bien sûr ce contenu c’est n’importe quoi et son contraire. Mais c’est aussi, par exemple, des séries de fiction américaines originales – Game of Thrones, Breaking Bad, Westworld, House of Cards, Gilmore Girls – dont le nombre a plus que doublé de 2002 à 2015, passant de 181 à 409.

Ce n’est pas parce que notre civilisation est devenue particulièrement productive et créative que les contenus audiovisuels ont tant augmenté, mais parce que les revenus des plateformes qui dominent le web – réseaux sociaux, sites de diffusion en streaming, sites de microblogage, proviennent en grande partie de la vente de notre attention à des annonceurs – et de l’exploitation de nos données personnelles – et que les vidéos sont un excellent moyen de la retenir.

Et le téléspectateur moyen est amateur de séries de fiction. Pour ramener ça à l’échelle canadienne, par exemple, en 2015-2016, 38% de ce que les Canadiens ont écouté à la télévision linéaire était des séries de fiction – 19% était d’origine canadienne chez les anglophones et 29% chez les francophones, d’après des données du CRTC.

À noter : Netflix ne vend pas de publicité, mais achète quand même notre attention en proposant des contenus qui nous poussent à nous abonner et à rester abonnés. Et l’entreprise moissonne beaucoup de données à notre sujet.

Donc, la découvrabilité c’est quoi?

La découvrabilité, c’est une bonne dose de marketing, du marketing numérique en particulier, mais ce n’est pas que cela.

Les métadonnées et les algorithmes ont un grand rôle à jouer dans la découvrabilité, mais il n’y a pas que cela.

La découvrabilité, vue sous l’angle du contenu, peut être actionnée par deux types de leviers : les leviers institutionnels et les leviers industriels.

Les leviers institutionnels. Ce sont les politiques et mesures des institutions culturelles comme les quotas de contenu canadien du CRTC par exemple, qui font en sorte que les contenus canadiens dominent l’offre en heures de grande écoute. Ou encore quand les politiques culturelles visent à assurer que ce contenu canadien est de grande qualité afin que tous les autres leviers – les recommandations des amis, les moteurs de recommandation, les prescripteurs et autres critiques culturels – le fassent émerger et choisir par le public.

C’est ce que le CRTC a fait en décidant en 2015 de réorienter sa stratégie basée sur la quantité – les quotas – vers la qualité : maintenant il privilégie une démarche réglementaire fondée sur les dépenses en programmation canadienne des diffuseurs. Il a également introduit des mesures incitatives pour encourager la promotion des émissions canadiennes originales.

Ce sont des mesures institutionnelles qui visent à stimuler la production et à assurer la visibilité et la promotion des émissions, autrement dit : leur découvrabilité.

Il y a les leviers institutionnels, et il y a les leviers industriels : tout ce que l’industrie peut mettre en œuvre pour aider la découvrabilité des contenus.

Mon rapport n’est pas un livre de recettes pour apprêter votre contenu à la sauce découvrabilité. Mais il contient quand tout de même quelques trucs qui relèvent du marketing numérique. Il y a la question des influenceurs par exemple, les YouTubeurs pour ne pas les nommer.

AD AGE a choisi Netlfix comme étant son MARKETER OF THE YEAR 2016, en particulier parce que l’entreprise est passée maître dans l’art d’utiliser les données pour savoir ce que son auditoire veut et livrer le bon message au bon auditeur. Comme le précise Ad Age, même si Netflix s’appuie largement sur le bouche-à-oreille, ils sont devenus très efficaces pour créer du contenu original qui est partagé et re-partagé, que les fans transforment en mèmes, en gifs et vidéos pour leurs amis sur les réseaux sociaux. En 2015 Netflix a dépensé 700 millions pour la publicité dans le monde, ce qui correspond à 10% de ses revenus totaux.

Conclusion

On a tiré le diagramme suivant du rapport « Les données, muses et frontières de la création« . C’est une cartographie de l’écosystème dans lequel les contenus évoluent et les données qui y sont liées évoluent.

C’est une bonne représentation de la chaine de valeur des contenus.  On peut voir que plusieurs acteurs contribuent à la création de leur valeur, mais tous n’en tirent pas les mêmes profits, tant en termes financiers qu’en termes de découvrabilité.

cluster

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