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Brève histoire du financement des productions médiatiques au Canada

Le 2 décembre dernier j’ai fait une présentation dans le cadre des Rendez-vous d’affaires du numérique organisés par le Regroupement des producteurs multimédia (RPM) autour du thème FINANCEMENT ET MODÈLES INNOVANTS: SOMMES-NOUS PRÊTS POUR LES NOUVEAUX DÉFIS?

Nous étant les producteurs multimédia bien entendu.

Le titre de ma présentation était, pour faire court :  Perspectives d’avenir des contributions du secteur privé au financement des contenus : les changements proposés par le CRTC à ses politiques relatives aux Fonds de production indépendants certifiés et quelques autres formes de réglementation et mesures fiscales.

En fait, je me suis aperçu, mais après la publication du programme, que j’aurais faire plus simple et l’appeler : Perspectives d’avenir des partenariats créés par les politiques publiques.

Voici le texte de ma présentation:

Le terme « partenariats créés par les politiques publiques » est du CRTC qui l’utilise pour parler des mesures mises en place pour s’assurer que tous les éléments du système de radiodiffusion contribuent au financement de la programmation. Ces partenariats, c’est l’obligation pour les entreprises de distribution de radiodiffusion, EDR dans le jargon du Conseil, de verser 5% de leurs recettes annuelles brutes à des fonds de production.

Je vais donc vous parler de la consultation lancée par le CRTC fin octobre au sujet de ses politiques relatives aux Fonds de production indépendants certifiés.

Pour mettre cette consultation en contexte, je vais d’abord présenter brièvement l’histoire du financement institutionnel pour la production audiovisuelle au Canada. Et en conclusion, un rappel de quelques hypothèses de financement – d’autres « partenariat public/privé » – qui ont été évoquées ces dernières années, comme par exemple la fameuse taxe Netflix.

Les fonds indépendants certifiés – un peu d’histoire

Pourquoi ces fonds existent-ils ?

Il faut revenir à 1983, quand le gouvernement fédéral a créé le Fonds de développement de la production d’émissions canadiennes de télévision qui était financé par le gouvernement et administré par Téléfilm.

Dix ans plus tard, le CRTC créée Le Fonds de production des câblodistributeurs, à la suite d’une audience portant sur la structure de l’industrie, qui se sentait menacée par l’arrivée des satellites de radiodiffusion directe américains : les « étoiles de la mort » … qui auraient pu – si le CRTC n’était pas intervenu, diffuser au-delà de 500 chaînes de télévision étrangères. (C’était l’époque où on venait de découvrir la compression vidéonumérique qui permettait de loger plusieurs chaînes sur un même transpondeur de satellite.)

Les câblodistributeurs ont alors proposé de contribuer au financement de la programmation en échange du maintien d’une majoration tarifaire temporaire approuvée quelques années auparavant : ils verseraient la moitié des revenus à un nouveau Fonds de production des câblodistributeurs (et ils étaient autorisés à conserver l’autre moitié des revenus).

Ce partenariat est devenu une condition de licence pour toutes les entreprises de distribution de radiodiffusion (y compris les nouveaux satellites de radiodiffusion directe canadiens – les américains ont été repoussés à la frontière) : les EDR doivent contribuer 5 % de leurs recettes annuelles brutes à un fonds de production indépendant pour la création d’émissions canadiennes.

Par la suite ce Fonds a été fusionné avec le Fonds de développement de la production d’émissions canadiennes de télévision (FDPECT) et leur rejeton s’est d’abord appelé le Fonds de télévision et de câblodistribution pour la production d’émissions canadiennes (le FTCPEC) – puis il est devenu le Fonds canadien de télévision en 1998.

En 1997, le Conseil décidait qu’au moins 80 % de la contribution des EDR devait aller au Fonds de développement de la production d’émissions canadiennes de télévision et que le 20% restant pouvait être un ou plusieurs fonds administrés par un organisme indépendant, existants ou nouveaux.

Fin des années 90, les nouveaux médias débarquent sur ce qu’on appelait alors l’autoroute de l’information, ou encore l’inforoute. Le gouvernement fédéral crée le Fonds pour le multimédia (administré par Téléfilm) en 1998, qui deviendra le Fonds des nouveaux médias du Canada en 2001.

Puis, le FCT est fusionné avec le Fonds des nouveaux médias et devient le Fonds des médias canadiens (FMC), financé par le gouvernement fédéral et les contributions des EDR.

En 2010, le CRTC modifie les critères d’admissibilité à l’égard des fonds de production indépendants pour qu’ils puissent servir à des projets néomédiatiques et au développement d’émissions (pilotes).

Afin de veiller à ce que le financement de projets néomédiatiques autonomes ne nuise pas indûment au financement de productions télévisuelles, le Conseil établit à 10 % par année la contribution maximale des EDR pouvant être versée à un ou plusieurs fonds de production indépendants.

Avis de consultation sur les politiques relatives aux fonds de production indépendants certifiés

En mars de cette année, le CRTC a annoncé une première partie des changements à venir à la suite de la consultation Parlons Télé.

Parmi ceux qui ont fait la manchette, il y a eu la réduction des quotas d’émissions canadiennes,  l’élimination de la politique d’exclusivité des genres et les changements aux forfaits des télédistributeurs.

Mais certaines observations du CRTC – à mon avis, un peu passées inaperçues – portaient sur les faiblesses du secteur de la production indépendante.

Le Conseil a écrit, par exemple, que le système de financement actuel ne favorise pas la capitalisation du secteur de production canadien, qui est trop dépendant du financement public.

Son diagnostic :

  • Les producteurs indépendants sont incités à exploiter leur affaire comme un service de l’industrie qui fonctionne de projet en projet ;
  • Les services de programmation acquièrent du contenu à la pièce, sans vraiment tenir compte du développement d’émissions à long terme ;
  • Les deux parties s’appuient fortement sur les subventions ou investissements gouvernementaux pour assurer leur viabilité.

D’après des données extraites du rapport annuel du FMC, et rapportées dans la décision du CRTC, voici le portrait du marché francophone en 2014 :
graphique blogue

Les financements institutionnels, ceux émanant des « partenariats créés par les politiques publiques », représentaient 55% du financement des émissions canadiennes. Les radiodiffuseurs sont les deuxièmes investisseurs avec 42%. Les producteurs avaient investi 2% de leur propre argent dans leurs productions.

Du côté du marché anglophone les producteurs avaient investi 4%, les radiodiffuseurs 29% en licences et les autres sources – des sources étrangères en grande partie – représentaient 13% du financement.

Dans sa Politique réglementaire de radiodiffusion CRTC 2015-86, donc, le CRTC a indiqué qu’il allait examiner ses politiques sur les FPIC « afin de s’assurer qu’elles accordent une plus grande souplesse en matière de financement de la programmation canadienne ».

L’objectif est de s’assurer que les FPIC contribuent « davantage à un secteur de production canadien plus robuste et bien capitalisé, mieux en mesure d’exploiter à long terme les occasions de revenus et de s’associer à des radiodiffuseurs ».

Bref, que ce secteur soit en mesure de réinvestir ses profits dans la production.

La consultation porte sur la façon dont ces fonds peuvent contribuer au système de télévision de l’avenir et aborde des questions comme la gouvernance et les exigences de rapport.

On se rappellera qu’actuellement les fonds sont certifiés par le CRTC si les projets médiatiques numériques choisis :

  • Ont conclu une entente de développement avec une entreprise de radiodiffusion autorisée ou sont liés à une production elle-même admissible à un financement ;
  • Si le fonds accepte des projets médiatiques numériques non liés à une émission de télévision, un maximum de 10% du fonds est consacré à leur financement.

Donc, si je calcule bien il y aurait tout au plus 6 millions $ par année qui peuvent revenir à des projets médiatiques numériques autonomes, non liés à des émissions de télévision, puisque les FPIC génèrent un financement d’environ 60 millions $ par année.

Parmi les questions de la consultation sur lesquelles le mémoire du RPM va particulièrement se pencher, il y a celles-ci qui figurent dans le bloc de questions portant sur les contributions des FPIC à un « système de télévision souple et tourné vers l’avenir » :

Q6. Quelles mesures incitatives le Conseil pourrait-il adopter en vue d’augmenter et de promouvoir la création de productions en ligne ? Quels obstacles liés au financement de productions en ligne, s’il en est, devraient être supprimés, et pourquoi ?

Q.7 Quelle serait l’incidence sur l’ensemble de la création de contenu canadien de la suppression de l’exigence selon laquelle un producteur doit avoir conclu une entente sur les droits de diffusion ? Par exemple, cela permettrait-il la création d’un plus grand nombre de productions en ligne ?

Et celles-ci, portant sur les critères de certification des fonds

Q.12 Quelle modification, s’il en est, devrait-on apporter aux sommes qui peuvent être allouées à des projets médiatiques numériques non liés à des émissions de télévision ? Est-il même nécessaire de limiter le financement de ces types de productions ?

Q.14 La définition de « projet médiatique numérique » devrait-elle être modifiée ? Quelles autres formes de production devraient être admissibles à recevoir du financement en vertu de ce critère ?

Les membres du panel – qui connaissent les rouages du financement de la production audiovisuelle au Canada beaucoup mieux que moi et qui doivent quotidiennement arbitrer entre les divers intérêts en présence dans l’industrie : producteurs télé, radiodiffuseurs, producteurs numériques, organismes gouvernementaux –  auront sûrement des éléments intéressants à apporter à ces questions.

Pour ma part, je trouve que la formulation des questions du Conseil indique qu’on commence à considérer les productions médiatiques numériques non plus comme un complément aux émissions de télévision, mais comme des éléments à part entière du système qui peuvent contribuer à améliorer sa robustesse du système.

Autres formes de partenariats créés par les politiques publiques

On discute depuis quelques années de la contribution des nouveaux acteurs de l’écosystème numérique au financement de contenus. En France en particulier, où on a une longue habitude d’utiliser les mesures fiscales pour financer la création, on l’explique ainsi dans le rapport « Contribution aux politiques culturelles à l’ère numérique » de Pierre Lescure, qui date de 2013, on indique que :

Il paraîtrait légitime (…) d’ériger en principe général la règle selon laquelle tout acteur économique tirant un bénéfice de la circulation des œuvres doit contribuer à leur financement.

C’est en vertu de ce principe que les créateurs revendiquent régulièrement des mesures qui forceraient les « acteurs économiques » à contribuer au financement de leur création.

 

Taxer les FSI (fournisseurs de services internet)

C’est une question qui a été mise de l’avant en 2009, au moment d’une autre consultation du CRTC portant celle-là sur la radiodiffusion par les nouveaux médias. C’est le CRTC lui-même qui avait conclu qu’une telle taxe était réclamée par la majorité des intervenants pour aider à financer la production d’émissions de télévision et que cela échappait à sa juridiction de l’imposer. Il avait renvoyé la question aux tribunaux, beaucoup, à mon avis, pour souligner que la Loi sur la radiodiffusion était obsolète et qu’il était temps de la réviser.

Ça s’est rendu en cour suprême et la conclusion a été que les FSI n’exploitent pas des « entreprises de radiodiffusion » assujetties à la Loi sur la radiodiffusion lorsqu’ils fournissent l’accès par Internet à la radiodiffusion puisqu’ils ne participent pas à la sélection et à la création de contenu et à sa mise à disposition sous forme de forfaits.

Conclusion : il faut changer la Loi.

Pour finir, ailleurs le monde :

En France on a imposé depuis 2008, une taxe pour tous les distributeurs de contenu audiovisuel, les éditeurs de services de télévision quel que soit leur réseau de diffusion d’une part, et les distributeurs de services de télévision quel que soit le réseau de communications électroniques utilisé d’autre part. Cette taxe est administrée et récoltée par le CNC (Centre national du cinéma et de l’image animée) dont la mission est de soutenir l’économie du cinéma, de l’audiovisuel et du multimédia.

Ailleurs dans le monde, on commence à imposer des taxes appelées « Google » ou encore « Netflix », en Angleterre, en Australie par exemple, qui visent à récupérer les taxes que ces entreprises réussissent à éviter grâce à leur grande maitrise de « l’optimisation fiscale », une façon plus diplomatique de désigner l’évitement fiscal.

Voilà, c’était un bref survol des formes de partenariats qui peuvent être créés par les politiques publiques pour financer le contenu.

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16% des Canadiens délaissent la télévision conventionnelle. Vraiment?

Le 11 juillet dernier la Presse Canadienne nous apprenait que, selon un sondage mené par ComScore pour le compte de Google, 16 % des Canadiens adultes délaissent graduellement la télévision « conventionnelle »  pour favoriser plutôt le visionnement d’émissions en ligne.  Il n’en fallait pas plus pour que cette nouvelle devienne, sur les réseaux sociaux qui s’intéressent à cette question, un autre clou dans le cercueil de la télévision traditionnelle, une autre preuve que le phénomène de « cord-cutting », dont je parlais dans mon dernier billet, est bien réel.

Mais avant d’enterrer définitivement la télévision trad, j’aimerais revenir sur certains raccourcis empruntés par cette dépêche et les réseaux sociaux qui s’en sont emparés.

16% des Canadiens adultes …

En fait, il aurait fallu titrer:  16% des répondants au sondage de ComScore commandité par Google ont déclaré ne jamais consommer d’émissions de télévision devant un téléviseur.

J’ai fouillé et n’ai trouvé que la dépêche de la Presse canadienne. Qui ne précise pas l’échantillonnage, ni le taux de participation, ni le questionnaire  ni la méthodologie employée.

Imaginons qu’il s’agissait d’un sondage web, comme c’est très souvent le cas de nos jours. Cela exclut d’entrée tous ceux qui ne sont pas branchés et ceux qui ne s’y sentent pas vraiment à l’aise (il y en a et pas seulement chez les vieux). Et implique une surreprésentation des internautes enthousiastes.

Comme m’a dit un contact dans le milieu des sondages, si, en plus le sondage a été fait en été, il y a plus de chances que bon nombre d’accros du web – qui, par définition, ne délaissent pas le net pendant les vacances –  y répondent … ceux-là même qui consomment probablement plus de contenu vidéo via le web.

Et peut-être veulent-ils être perçus comme des modernes qui ont rejeté les vieilles technologies depuis longtemps, même s’il leur arrive parfois, par inadvertance, de faire la patate de sofa. Si on considère que, selon le CRTC, 90% des foyers canadiens sont abonnés à un service de télédistribution (câble, satellite, IPTV), il me semble que quelques échantillons de ce 16% doivent avoir accès à un poste de télévision.

… délaissent graduellement

Graduellement, vraiment? C’est basé sur quelles données comparatives? Ce n’est pas mentionné dans l’article de la Presse canadienne.

 la télévision conventionnelle

D’abord entendons-nous: la télévision conventionnelle, dans le vocabulaire du CRTC, c’est la télévision généraliste distribuée par les ondes hertziennes (et numériques depuis 2011). Ce terme exclut les chaînes spécialisées distribuées uniquement par un service de télédistribution. Bon d’accord, je fais ma mémère virgule, on aura compris qu’on veut parler de la bonne vieille télévision qui entre dans nos foyers par les ondes ou la télédistribution, mais cela illustre à mon avis une certaine méconnaissance des médias envers ce secteur. Qui les concerne pourtant au premier chef.

Une industrie qui a su s’adapter

Une chose est sûre pour l’instant, cette désaffection graduelle des Canadiens pour la télévision traditionnelle ne se reflète pas encore dans les revenus de cette industrie:  en 2011, les recettes d’exploitation des entreprises de télévision par câble et par satellite ont progressé de 6,9 % par rapport à 2010 pour totaliser 13,3 milliards de dollars (dollars courants) (source: CRTC, Rapport de surveillance des communications 2012).

Je ne m’inquiéterais pas trop pour les entreprises de câblodistribution, qui ont compris depuis longtemps que leur viabilité ne devait pas reposer sur la télévision par câble uniquement.  Comme je l’écrivais dans un billet de 2011, « les parts de marché combinées de Shaw, Rogers, Bell et Quebecor dans la distribution, la programmation, l’accès Internet fixe et les communications mobiles dépassent largement celles des Américains. Dans ce domaine, nos entreprises canadiennes font mordre la poussière aux géants Comcast/NBCU (nouveaux mariés, par ailleurs), DirecTV, Time Warner Cable et Dish Network (entre autres parce que les américaines ne sont pas dans le mobile) ».  Et j’écrivais ça avant la transaction BCE-Astral…

Mais le streaming est une réalité

Cela dit, la télévision en streaming sur internet est un phénomène qui ne disparaîtra pas et qui est en train de transformer l’industrie.  Les consommateurs l’adoptent de plus en plus rapidement.  Sauf au Québec, où la société distincte se distingue du reste de Canada en termes d’adoption des technologies. J’y reviendrai.

Et peut-être que dans un autre billet je répondrai à une question dont la réponse pourrait être intéressante: quel est l’intérêt de Google de commanditer ce genre de sondage ?

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La bande des quatre et l’invasion des Joueurs Étrangers!

Au Canada, ils sont quatre à pratiquer l’intégration verticale et ils sont les champions mondiaux de cette discipline.

Les parts de marché combinées de Shaw, Rogers, Bell et Quebecor dans la distribution, la programmation, l’accès Internet fixe et les communications mobiles dépassent largement celles des Américains. Dans ce domaine, nos entreprises canadiennes font mordre la poussière aux géants Comcast/NBCU (nouveaux mariés, par ailleurs), DirecTV, Time Warner Cable et Dish Network (entre autres parce que les américaines ne sont pas dans le mobile).

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