Il fallait bien que je revienne avec un bang après près de six mois d’absence.
D’accord, c’est un titre tout à fait incongru mais j’avais envie de jouer le jeu de ces sites (Upworthy en tête) qui pratiquent l’art de titrer pour attirer les clics. Bon, maintenant que j’ai votre attention, je la retiens pour un billet que j’ai publié il y a deux ans, sur un autre blogue. Il me semble tout à fait d’actualité au moment où le sujet de la neutralité du net alimente le débat chez les voisins américains et fait craindre la fin de l’Internet tel qu’on le connaît aujourd’hui. À écouter en accompagnement, cette émission de La Place de la toile, une émission de France Culture sur les cultures numériques, où un chercheur suisse parle de son livre « Les fins d’Internet ».
Mon article avait été publié en avril 2012, et s’intitulait: « Quel avenir attend l’Internet? Un jardin privé, une jungle ou une cité moderne? » Le voici:
En août 2010, le magazine Wired avait jeté un pavé dans la mare en publiant un dossier spécial qui prenait radicalement position : The Web is dead. Long live the Internet.
Pour sur-simplifier, résumons l’argument de Chris Anderson ainsi : les applications mobiles, si séduisantes, faciles d’accès et d’utilisation pour les usagers, tellement plus simples à monétiser pour les entrepreneurs, existent en dehors de l’architecture du Web ouvert, accessible par navigateur. Anderson en concluait que, logique capitaliste aidant, « the Web is not the culmination of the digital revolution ». (Cela dit, il ne prédisait pas sa mort, mais plutôt sa marginalisation dans l’écosystème numérique.)
Récemment, je lisais ce titre sur ReadWriteWeb :« How social networks are killing the Internet ». Sur-simplifions encore : l’auteure déplore le fait que sa vie en ligne transite nécessairement par Facebook et autres médias sociaux sans lesquels elle ne peut plus vivre. Ceux-ci cultivant avec jalousie leurs jardins privés (walled gardens), la porte d’entrée se referme sur nous dès qu’on la franchit. Il fait si bon batifoler, échanger et partager à l’intérieur de ces jardins (et, accessoirement, y semer nos si précieuses données personnelles qui sont par la suite récoltées et revendues par les jardiniers) qu’on ne veut plus les quitter pour s’aventurer dans l’Internet, qui se transforme peu à peu en jungle impénétrable.
(En fait, elle confond Web et Internet. L’architecture du Web, porte d’entrée universelle, conviviale, publique et gratuite sur l’Internet, s’étant imposée comme la représentation graphique du net, il est normal de confondre. À plus forte raison quand on est digital native et qu’on n’a pas connu l’Internet pré-Web, ces écrans faits de textes sans images et sans hyperliens).
La convergence : là ou le passé et l’avenir se rejoignent
Il est toujours bon de retourner dans le passé quand l’avenir devient flou. On appelle ça regarder d’où l’on vient pour savoir où l’on va. Et si le passé est garant de l’avenir, pour continuer dans les formules toute faites, le Web, l’Internet, les médias sociaux ne devraient pas disparaître, mais plutôt converger. Rien ne se perd, rien ne se crée, tout converge.
La convergence, c’est l’adaptation en parallèle et semblable de systèmes, d’espèces, d’organismes face aux pressions de leur environnement. Mot buzz des années 1990, convergence est plus ou moins disparu de l’écran radar des médias ces dernières années, peut-être parce que la convergence est devenue un fait accompli dans les industries de la radiodiffusion et des télécommunications, les premières concernées par cette adaptation à de nouvelles réalités environnementales.
La convergence rejoint maintenant la réalité du monde numérique : l’Internet, le Web et les médias sociaux sont déjà en train de s’adapter aux pressions de leur environnement et d’évoluer vers une nouvelle phase de leur développement.
Et cette convergence, selon des experts interrogés par le Pew Research Center’s Internet & American Life Project, pourrait se faire dans les nuages, mais la simplicité qui en découlera aura un prix.
L’organisme a publié en mars 2012 le résultat d’une enquête, The Web Is Dead?, menée auprès d’un groupe d’experts reconnus afin de vérifier ce qu’ils pensaient du postulat de Wired.
On leur a demandé de choisir entre deux visions du Web de 2020, et 59% d’entre eux se sont déclarés d’accord avec cette vision optimiste d’un web ouvert qui favorise la communication et l’innovation :
In 2020, the World Wide Web is stronger than ever in users’ lives. The open Web continues to thrive and grow as a vibrant place where most people do most of their work, play, communication, and content creation. Apps accessed through iPads, Kindles, Nooks, smartphones, Droid devices, and their progeny—the online tools GigaOM referred to as « the anti-Internet »—will be useful as specialized options for a finite number of information and entertainment functions. There will be a widespread belief that, compared to apps, the Web is more important and useful and is the dominant factor in people’s lives.
Comme l’indiquent les auteurs du document, il ne s’agit pas d’un simple débat sur la meilleure technologie ou le modèle d’affaires qui aura le plus de chances de succès. C’est un mouvement plus profond qui affectera la façon dont nous aurons accès à l’information, à la culture, au savoir et la façon dont nous nous connecterons les uns avec les autres.
Mais pour en revenir à la proposition de départ, c’est-à-dire que le web ouvert et universel est mort, tué soit par des applications, soit par des réseaux sociaux propriétaires qui monnayent l’espace numérique qu’ils occupent, il s’agit peut-être de formules tournées pour retenir l’attention, mais elles reflètent tout de même la réalité de la bataille sur le contrôle de l’accès qui se mène dans les coulisses de l’univers numérique. Pour plusieurs des répondants à l’enquête du Pew Research Center, le développement de l’Internet mobile est dominé par la recherche de profit aux dépens du réseau global, ce qui aura pour effet d’amener les entreprises à privilégier le cloisonnement du Web et à recourir aux applications, plus faciles à contrôler et à transformer en produit monnayable. Selon un répondant : “It is another click toward stripping citizens of their ability to create and control their technological environment.”
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Un article récent du New York Times explique ce qui est en train de se passer dans le dossier de la neutralité du net et de la menace qu’il fait peser sur le réseau des réseaux.