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L’accès est roi

Au Québec on dépense davantage pour accéder à la culture que pour la culture elle-même. À qui profite cette tendance, aux créateurs ou à ceux qui contrôlent l’accès aux canaux de distribution?

En mai dernier l’Observatoire de la culture et des communications du Québec publiait dans son bulletin Optique culture portant sur « L’évolution des dépenses culturelles des ménages québécois, de 1997 à 2009 » le constat suivant: « De manière générale, les ménages québécois dépensent de moins en moins en produits culturels, mais de plus en plus en accès à ces produits. »

La  part consacrée aux produits culturels est passée de 57% en 1997 à 39% en 2009, tandis que celle consacrée aux « produits d’accès aux produits culturels » (équipements électroniques, services de téléphonie cellulaire, services internet, etc.) est passée de 34% à 55%. L’OCCQ inclut les frais de télédistribution (câble et satellite) dans les produits culturels parce qu’ils sont à la fois un produit d’accès et un produit culturel  (consacrés uniquement à la consommation d’émissions de télévision).

Mais l’OCCQ souligne que si les frais de télédistribution étaient plutôt envoyés dans la colonne « produit d’accès aux produits culturels », la part des dépenses en produits culturels serait passée de 41,0 % à 21,2 %, de 1997 à 2009.

Les données les la plus éloquentes de ce tableau, à mon avis, sont les dépenses consacrées aux services internet et aux services de téléphonie cellulaire qui sont classés comme des « produits non destinés à la consommation culturelle mais qui peuvent être utilisés à cette fin ».  Ce sont les dépenses de cette sous-catégorie qui sont responsables du renversement de la tendance: leur part est passée de 18% à 38% entre 1997 et 2009.

Récemment, le New York Times rapportait l’histoire d’une jeune stagiaire du réseau NPR (la radio publique américaine) qui avait écrit sur le blogue de NPR qu’elle possédait une discothèque d’au moins 11 000 titres, mais qu’elle avait payé pour tout au plus 15 albums dans sa vie. Cet article a déclenché des discussions enflammées sur les considérations morales autour du fait de priver des artistes de la juste rémunération pour leur travail.

Mais il y a surtout dans l’article de la jeune stagiaire une déclaration sur laquelle il vaut vraiment la peine de s’arrêter:

But I honestly don’t think my peers and I will ever pay for albums. I do think we will pay for convenience.

Avant la dématérialisation des supports, on payait pour la possession du produit physique (un disque, un journal, un livre), aujourd’hui on paye pour l’accès, que ce soit via un abonnement à un service internet, un service de téléphonie cellulaire ou encore un abonnement à un agrégateur.

La rémunération des contenus a migré de l’acquisition d’un support physique à l’acquisition de l’accès au produit. Mais encore faut-il que le contenu ait accès, justement, aux canaux de distribution.

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Le cerveau plastique des poissons rouges

Contrairement à la croyance populaire, le cerveau des adultes n’est pas définitivement fixé, mais est malléable comme le plastique: ses cellules nerveuses se déconnectent et se reconnectent constamment.

On dit que les poissons rouges ont une capacité de concentration de trois secondes, d’où l’expression « the attention span of a goldfish ».  Mais, selon une étude de l’École de psychologie de  l’Université de Plymouth, cette capacité serait plutôt de trois mois.

J’ai trouvé  ces informations sur le web, en faisant des recherches sur le multitasking pour compléter mon billet sur la consommation des médias par les jeunes.

C’est la discussion de l’heure: la révolution internet a-t-elle un impact sur notre façon de consommer l’information et la culture?

Notre société est-elle en train de se doter collectivement de la capacité de concentration d’un poisson rouge ? De trois secondes ou de trois mois? Est-ce que le tsunami d’information qui nous submerge sur le web nous rend plus intelligents ou moins intelligents?

Dans un article tiré de The Atlantic: « Is Google making us stupid? »,  l’auteur Nicholas Carr démontre de façon convaincante comment le web est en train d’affecter notre faculté de concentration à long terme, transformant nos cerveaux en machines de traitement de données haute-vitesse, capables d’absorber de plus en plus d’informations, de « multi-cliquer »  à l’infini.  Gros avantage pour Google et autres qui ramassent ainsi un maximum d’informations à notre sujet et en profitent pour nous alimenter en publicité ciblée. « Most of the proprietors of the commercial Internet have a financial stake in collecting the crumbs of data we leave behind as we filt from link to link – the more crumbs, the better. The last thing these companies want is to encourage leisurely reading or slow, concentrated thought. It’s in their economic interest to drive us to distraction. »

Pour Tyler Cowen, un professeur d’économie à la George Mason University,  le « multitasking » ne diminue pas notre capacité d’attention, mais au contraire l’augmente. « Multitasking is not a distraction from our main activity, it is our main activity. » (« Three Tweets for the Web »).  Le web nous permet de consommer l’information en suivant une ligne narrative façonnée par nos intérêts et passions – qui sont uniques à chaque personne. « The apparent disorder of the information stream reflects not your incoherence but rather your depth and originality as an individual. »

Être cultivé aujourd’hui, ce n’est pas être capable de décoder les symboles d’une toile de Rubens, mais savoir manipuler un iPhone ou toute autre technologie web, qui permettent de voir les toiles de Rubens et d’apprendre plein de choses à leur sujet. En ce sens, les jeunes sont extrêmement cultivés: « in fact, they are very often cultural leaders and creators. »

Une chose est sûre: la technologie nous transforme et transforme nos sociétés irrémédiablement.  Moi qui ai connu l’ère « Avant l’ordinateur personnel » et ai fait mes travaux d’université sur une IMB Selectric, j’ai dû rééduquer mon cerveau pour apprendre à penser mon texte directement sur l’ordinateur (plutôt que tout écrire à la main, raturer, recommencer et taper sur la machine pour finir.) Je suis convaincue que cela a transformé ma façon d’organiser ma pensée.