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Sous-titres et culture distincte

Tel que promis dans mon dernier billet, j’ai épluché le très volumineux, très complet et très documenté rapport « Rapport Lescure » (sur les contenus numériques et la politique culturelle à l’ère du numérique – commande du président de la France).

Je vais en livrer les éléments les plus intéressants pour notre contexte nord-américain par volets thématiques.

Volet d’aujourd’hui: contenu vidéo en ligne et le sous-titrage. En France, on est pressés d’avoir accès aux émissions américaines et le sous-titrage est une solution plus rapide que le doublage. D’abord le fait de « sous-titreurs pirates » qui sous-titrent de façon très organisée, manière crowdsourcing, dans plusieurs langues,  la pratique  est devenue courante chez les diffuseurs légaux français (TF1, M6 et Orange) qui mettent en ligne des versions sous-titrées des émissions américaines dès le lendemain de leur diffusion originale aux USA. Le rapport soutient « ces différentes initiatives et appelle à poursuivre les efforts pour améliorer la disponibilité des séries étrangères en ligne le plus tôt possible après leur diffusion ».

Autre pays, autres moeurs… Ici au Québec le contenu américain, qu’il soit doublé ou sous-titré, n’est pas si ardemment désiré.

En effet, depuis aussi longtemps que les palmarès sur l’écoute des émissions de télévision existent, les Canadiens francophones se distinguent des Canadiens anglophones par leur adhésion sans failles au contenu audiovisuel fabriqué ici, comme en témoigne le palmarès de la semaine dernière. Que des productions d’ici dans les 10 premières émissions. Quelques contenus américains se faufilent ici et là, mais ce sont des exceptions. Il y a également quelques concepts étrangers (Dieu merci!, Le Banquier, etc.), mais ça demeure des émissions profondément québécoises.

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Netflix, ce grand méchant Joueur étranger qui a été abondamment brandi comme un épouvantail pendant l’audience portant sur la transaction Bell/Astral (« Bell et Astral plaident la menace Netflix« ) ne compte que 5% d’abonnés francophones, contre 20% d’anglophones, et la raison principale, selon tous les observateurs, serait la faiblesse du contenu en français sur le service de vidéo sur demande en ligne.

Netflix ambitionne de devenir, à terme, un leader global, tout en reconnaissant que cela prendra du temps. ( « We would be stronger being the leader in a few markets than one of the herd in many markets. Of course, our ambition is to be the leader in many markets, but that will take us some time. » Netflix long term view )

Netflix a les moyens de ses ambitions et peut prendre le temps d’ébranler cette fameuse barrière de la langue qui protège le contenu culturel d’ici. Sa dernière tactique en ce sens? La série « Arrested Development », une nouvelle série mise en ligne le 26 mai et avec laquelle le service espère faire le plein d’abonnés, est offerte avec sous-titres français. Les deux séries originales produites par Netflix,  « House of Cards » et « Hemlock Grove » sont offertes avec sous-titres ou version audio en « français canadien ».

La barrière de la langue ne peut pas à elle seule expliquer notre résistance face à l’invasion étrangère (en tout cas pour le contenu télévisuel, pour la musique c’est une autre histoire).  Après tout, le taux de bilinguisme de la population augmente, les jeunes sont très friands de culture américaine, et autour de moi il me semble qu’on ne parle que de Game of Thrones ou Walking Dead – séries pas disponibles en français ici.

L’attachement pour la production audiovisuelle d’ici relève davantage que de la seule question de la langue. Il est basé sur l’histoire de notre télévision, bâtie sur une culture distincte et surtout développée par une institution, la télévision publique,  qui a eu les moyens d’imposer une certaine idée de la qualité que les autres n’ont eu d’autre choix que d’émuler.

En regardant ce passé, je trouve particulièrement désolant que nos gouvernements n’aient pas encore de plan numérique, ou au minimum une stratégie numérique qui reconnaisse le caractère absolument « disruptif » pour l’identité culturelle de la révolution numérique.

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